AFRIKIKK 2020
©ALun Be
©Alun Be
©Saïd Afifi
©ALun Be
Pour des raisons indépendantes de notre volonté, le KIKK 9.5 a du être annulé. Nos premières pensées ont évidemment été pour nos artistes qui attendaient depuis de longs mois cette reprise. Nous avons donc souhaité présenter malgré tout leur travail: entre audace, créativité et pragmatisme, Alun Be, Precy Numbi, Ghizlane Sahli, Tabita Rezaire et Saïd Afifi nous offre un autre regard sur le monde.
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Le battement d’aile du papillon est la métaphore de notre année 2020, et plus largement de notre réalité actuelle. Comme l’écrit si bien Edgar Morin, dans le résumé de son dernier livre sur la pandémie : « Un minuscule virus dans une très lointaine ville de Chine a déclenché le bouleversement du monde. ». C’est l’effet papillon d’Edward Lorenz, qui nous démontre, une fois encore, que la complexité peut être intrinsèque à un système.
Qu’est-ce la pandémie nous enseigne?
Que l’Homme moderne, triomphant, a cru avoir la maîtrise omnipotente du monde. Divinisé, il s’est cru tout-puissant dans sa maîtrise de la technique et de la nature. Or il n’a fait que créer des relations d’interdépendances mais un petit virus est venu lui rappeler qu’il n’est finalement que si peu de choses et de dévoiler ses fragilités, ses faiblesses et de remettre en question ses libertés. Dans le désordre et sans exhaustivité: la course effrénée vers le développement technique et économique, l’accumulation des biens, la déconnexion avec la nature, la fin du néo-libéralisme, la dégénérescence de nos modèles politiques, le cataclysme écologique, la régression des capacités intellectuelles, ne pouvaient nous mener qu’à la fin d’une ère.
Et si « La Peste » de Camus a été mainte fois citée depuis le début de la pandémie pour être ré-actualisée internationalement, ce n’est pas tant pour sa chronique d’une épidémie que pour son analyse de l’existence et de la condition humaine. Camus utilise une allégorie pour parler du mal qui nous oppresse et contre lequel nous devons lutter. Il nous démontre que l’homme, face à l’adversité, se dévoile et se révèle dans ce qu’il a de meilleur et ce qu’il a de pire. Et de se rappeler alors la récurrence de l’histoire tout en sachant que le bien, loin de se concevoir dans une relation d’opposition au mal, lui a simplement toujours été antérieur. Et de la cyclicité du monde et de notre condition, non sans évoquer Kierkegaard, dans « La Reprise », pour qui, ce qui compte n’est pas la nouveauté, mais la répétition, offrant infiniment plus de possibilités que la nouveauté. Ou encore le « Sisyphe » de Camus, qu’il faut imaginer heureux, écrivait-il, car c’est dans l’éternel recommencement qu’il a finalement trouvé du sens.
Ainsi nous devons nous demander ce que cela signifie de commencer, de débuter, d’entrer dans une nouvelle ère ou dans une autre histoire. Car oui, nous l’avons attendue, cette reprise. Tant attendue. Mais aura-t-elle vraiment lieu comme on l’entend ? Nous allons inévitablement devoir apprendre à vivre avec une nouvelle réalité contextuelle et cela va devoir passer par l’acceptation. Alors, comment faire pour recommencer ou commencer à nouveau ? Est-ce qu’un commencement est toujours synonyme de nouveauté? Un début est-il une naissance ou un perpétuel recommencement ? Qu’est-ce qu’un bon début?
Incipit liber, ici commence le livre… « A défaut de pouvoir trouver un sens à tout cela, il est important d’en tirer les leçons pour l'avenir(1) ». Que souhaitons-nous ? Pour nous-même, individu, d’abord, mais pour notre collectivité, aussi, et puis pour notre monde, surtout. Ce sont les bases d’un fondement civilisationnel qu’il faut repenser intégralement, pas en terme d’espace, de territoire ce qui signifierait inévitablement des rapports de forces mais comme conscience commune et collective. En cessant, la simplification de tout, la linéarité, la compartimentation qui interdisent la trans-disciplinarité des savoirs et des apprentissages. En cessant d'utiliser nos connaissance des mécanismes de la peur dans le cerveau contre nous-même.
Et s’il nous arrive malgré tout d’oublier une fois de plus, relisons encore et toujours ces textes porteurs, écoutons ces penseurs actuels et ces savoirs oraux, ancestraux et traditionnels. Parce que le virus ne mourra ni ne disparaîtra jamais, il se transformera... et sans une réelle réflexion sur notre civilisation, nos plan B, C et systèmes D ne feront que démontrer nos capacités d’adaptabilité mais pas celles qui consistent à créer, ensemble.
– Delphine Buysse –
(1) Edgar Morin